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jeudi 18 mars 2010

La craie.
J'avais l'habitude de jouer toute seule. Trop petite encore pour aller à l'école, sans frère ni soeur, sans jardin d'enfant à côté, j'ai appris à être autonome dans mes jeux. Je flânais autour de l'école où nous habitions et où mes parents travaillaient, en m'imaginant être tantôt le chat des musiciens de Brême, tantôt le petit renard Ludovic...
Un jour, fouinant à côté des hangars de l'école, j'ai trouvé un morceau de craie long comme ma main. Trouver un petit morceau de craie n'était pas une chose extraordinaire, il y avait des stocks de craie dans le hangar, mais un morceau si long - un vrai trésor. Folle de joie, j'ai couru avec la craie tout droit jusqu'à tomber sur Ira, la fille aînée de la directrice d'école. Ira avait un an de plus que moi et elle allait à l'école. Elle se croyait donc adulte. "Regarde ce que j'ai trouvé!" Je n'ai pas pu m'empêcher de me vanter de ma trouvaille. Les yeux d'Ira se sont mis à briller. "Donne-la moi pour regarder!"
Mon plus grand défaut a toujours été ma naïveté. Sans trop réfléchir, je lui ai tendu ma craie. Ira l'a prise, l'a regardée et... l'a laissée dans ses mains. "Rend-moi la!" Des soupçons ont fini par traverser mon esprit... "Non". J'ai tout compris. Etre si naïve pour donner son trésor parce qu'on te le demande pour le regarder! Mais, d'un autre côté, comment peut-on être si malhonnête?! J'étais profondément vexée. J'ai essayé de reprendre ma craie par la force. En vain! Ira avais un an de plus que moi et elle était d'une tête plus haute que moi. Elle leva le bras avec ma craie dans sa main, et même en sautant je ne pouvais pas l'attraper. C'était un comble! Ai-je jamais senti un tel sentiment d'injustice plus qu'à ce moment? J'étais en rage. Je ne sais trop ce qui c'est passé ensuite, j'ai du sortir toutes mes griffes et toutes mes dents, mais une minute après je serrais de nouveau ma craie dans mes mains, arrachée presque avec la chair de l'adversaire, et je m'éloignais en soufflant...
Je suis rentrée chez moi en vainqueur, sur un char de triomphe et une couronne de laurier sur ma tête... Quand j'ai raconté mon exploit à ma mère, elle dit: "Maintenant je comprends. J'ai croisé Ira, elle était toute rouge et elle soufflait comme une locomotive..." Ensuite, elle a demandé à mon père qu'il nous fasse nous réconcilier. Nous sommes sortis avec mon père, Ira jouait non loin de chez nous. Mon père l'a appelée, puis il a pris ma craie, l'a cassée en deux morceaux égaux et a tendu un morceau à chacune... Les grandes personnes ne comprennent jamais rien! Ma craie n'avait d'intérêt qu'entière. Recevant chacune un petit morceau de craie, nous n'avions plus d'intérêt pour lui. J'étais déçue. "Mon dieu!, - disait ma mère, - à cause d'un morceau de craie..."

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