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jeudi 25 février 2010

"Autobiographie" de mon grand-père. (1)

C'est une ébauche de traduction de l'autobiographie de mon grand-père paternel. Le travail n'est pas facile, parce que mon grand-père ne parlait pas bien russe. Le texte russe contient donc beaucoup d'erreurs de langue, mais en même temps, cela lui confère un caractère tout particulier, les erreurs de mon grand-père étant caractéristiques des personnes d'origine asiatique (asiatiques-russes). Comment garder cette particularité du texte? Je ne le sais pas.

Autobiographie.

Moi, Kounakoujin Gaïnoula Zaïnoulovitch, je suis né le 24 août 1924 dans le village N. Bikberda (Bourangoulovo) du Soviet de la localité rurale Bikbaevskij du district Ziantchourinskij de la République Soviétique Socialiste Autonome Bachkir.

Je me souviens, que nous vivions dans une petite izba, construite sur quatre piliers, sans plancher. On avait très froid dans cette izba, surtout en hiver, on dirait que le vent soufflait à l’intérieur.

Nos vêtements étaient pour la plupart cousus de tissus fabriqués artisanalement. C’était ma mère qui les tissait à partir des fils de chanvre. Voilà ce qu’il faut faire pour obtenir le filé de chanvre : semer le chanvre, le récolter quand il est mûr, le sécher, puis le faire tremper dans une rivière pendant environ un mois (il faut constituer des faisceaux de chanvre, les mettre dans une rivière et poser un poids dessus pour que les faisceaux ne remontent pas). Ensuite on sort le chanvre de la rivière, on le sèche et, après le traitement nécessaire, on en fait le filé (ou, comme on dit, le fil). Avec ce tissu artisanal, ma mère nous faisait des chemises, des pantalons.

Nous étions quatre : la mère et nous, trois frères. J’étais l’aîné. Le deuxième frère, né en 1927, est mort en 1936, d’une maladie inconnue.

A l’époque, pendant la guerre, dans nos villages et même aux alentours, il n’y avait pas de médecins, sauf dans le centre du district. Il n’y avait non seulement pas de médecins, mais aussi pas d’aide-médecins. Et maintenant, après 70 ans du pouvoir soviétique, il n’y en a toujours pas, bien que dans certains villages il y ait des aides-médecins.

Ma mère travaillait seule dans le kolkhoz, et nous n’avions aucune aide de nos parents. Il lui fallait nous habiller, nous nourrir et nous éduquer. Les récoltes étaient très très mauvais à cette époque. Les grains, on en donnait 50 – 100 grammes pour un « point de travail », mais parfois on n’en donnait pas du tout. Les impôts étaient très élevés. Il fallait fournir obligatoirement : de la viande, du beurre, des œufs, des peaux, de la laine, et en plus il y avait un impôt en argent et l’« emprunt d’Etat ». Il fallait payer tous ces impôts, pour cela il fallait vendre quelque chose. Et parfois on vendait donc les derniers grains. Bien qu’ainsi nous restions nous-mêmes sans pain, on nous laissait la vache. Parce que si nous n’avions pas payé les impôts, on nous aurait confisqué la vache.

jeudi 11 février 2010

Le plus beau cadeau d'anniversaire.
Mes anniversaires n'étaient jamais très joyeux, la fin de l'été correspondant à la fin des vacances et, par conséquent, à l'épuisement total de l'argent touché par mes parents au début des vacances (mes parents étant tous les deux professeurs). Non que je n'avais pas de cadeaux, mais c'étaient souvent des choses purement symboliques (surtout à la période de la Pérestroïka). Pourtant, le plus beau cadeau qui m'ait été fait, n'a pas coûté un rouble à mes parents. Pour mes 14 ans, on m'a offert... mon arrière-grand-père. En fait, ce cadeau n'était pas prévu par mes parents, tout simplement, j'ai commencé à établir l'arbre généalogique de notre famille, et profitant une fois de plus du rassemblement de toute la famille pour mon anniversaire, j'ai posé des questions à mes grand-parents concernant leurs parents. J'avais déjà entendu ma grand-mère parler de son père, mais je le croyais mort. Et bien, je m'étais trompée, il était vivant!
C'était un très beau cadeau, mon arrière-grand-père! Un vrai descendant de la noblesse polonaise ou biélorusse-polonaise, professeur, directeur d'une école, communiste, héros de la deuxième guerre mondiale (il fut commandant militaire de Varsovie après la libération de cette ville), mais aussi chasseur, buveur, homme aux passions coûteuses et aux manières de gentilhomme, fier et exemplaire, bref, un arrière-grand-père de rêve. Eh bien, le jour de mon anniversaire j'ai appris son existence et j'en étais ravie! Le seul petit problème était qu'il vivait en Biélorussie, et nous - au fin fond de la taïga komi, entourés d'anciens camps de goulag. Mais, honnêtement, pour moi, cela n'était pas un grand problème, j'étais déjà assez heureuse avec la seule connaissance de son existence, et puis, je savais déjà écrire des lettres!
Mon cadeau est mort avant que je puisse lui écrire une seule lettre... J'avoue que j'étais déçue.
Mais malgré tout, ce cadeau m'a enrichi pour toute ma vie: j'ai commencé à réfléchir au sujet du destin, j'ai eu l'intérêt envers le passé des individus (le passé en tant qu'histoire ne m'intéresse point), envers les motifs de leurs actes. Pour la première fois je me suis rendu compte de la grandeur de La Mémoire Humaine, qui peut décider si tel homme devait mourir pour toujours ou bien survivre pour les siècles à venir. Cette découverte m'a bouleversée, comme si j'avais trouvé là un secret d'immortalité. Je me suis acharnée à retrouver tous les survivants de notre famille (des parents éloignés) au quatre coins de l'ancien URSS pour recueillir toutes les informations sur le passé de notre famille. C'était une course contre la montre: la plupart de mes correspondants avaient autour de 80 ans. Je me battais avec le Néant. Avec chaque nouvelle lettre je lui arrachais un morceau de plus de la vie de quelqu'un...
Je dois avouer: je n'ai pas su être efficace, à 15 ans, on a beaucoup d'autres choses à faire. En fin de compte, je n'ai qu'une vingtaine de lettres que je n'ai jamais organisées sous la forme d'un quelconque texte de synthèse. Je sais qu'un jour je devrais m'en occuper: à la conscience du combat avec le Néant s'ajoute le sens de la responsabilité. Tout les correspondants de mes 15 ans sont déjà morts. Ils savaient tous ce que j'étais en train de faire, et ils y comptaient.
Aurais-je un jour, à mon tour (comme R. Gary), une possibilité d'annoncer à la reine d'Angleterre qu'"Au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny"?

lundi 8 février 2010

Aujourd'hui, le 8 février, j'ai reçu un papier du ministère disant que j'ai acquis la nationalité française.
L'ironie du destin: aujourd'hui, c'est aussi l'anniversaire de mon grand-père maternel, celui qui était le plus proche de moi. Il aurait eu précisément 80 ans. Quand il est parti, j'étais encore à SPb et je ne pensais même pas à aller en France.
Qu'en aurait-il dit?...

jeudi 4 février 2010

Il ne s'agit pas de faire ici une étude sociologique ou historique, parce que je ne suis ni sociologue, ni historienne. Mais, je crois qu'à travers l'histoire d'une famille on peut déjà voir le processus du changement mental des habitants d'un pays comme la Russie. La Russie n'a pas beaucoup changé du point de vu de la fermeté du pouvoir central, c'était une dictature sous Staline, puis on a glissé vers l'autoritarisme. ...Et on y reste toujours. C'est le contenu idéologique qui a changé. Par contre, on est passé du "communisme" (ou socialisme) au capitalisme, ce qui est un grand changement.
Je me souviens bien d'un 1e mai du début des années 80. A l'époque nous habitions en Biélorussie. J'étais encore une enfant. Le 1e mai étant jour férié (et le 2 mai aussi), mes parents sont restés à la maison. Nous avons fait la grasse matinée, puis, sans se lever "complètement", on a branché la télévision pour voir la manifestation du 1 mai en direct de la Place Rouge à Moscou. D'abord, c'était une parade militaire sur la Place Rouge: des tanks, des voitures militaires... des soldats défilant en uniforme de fête. Les dirigeants soviétiques sur la tribune du Mausolée (de Lénine), l'immense foule encadrant la Place Rouge, des Moscovites et des provinciaux venus exprès pour voir la parade, avec des petits drapeaux rouges, les visages heureux. C'était tellement beau! Nous avons passé toute la matinée en regardant la parade, allongés dans le lit (nous habitions dans un appartement d'une seule pièce). C'était une fête. Je ne sais pas ce que pensaient mes parents, ils se détendaient tout simplement, fatigués par leur travail. Et moi, j'avais un très fort sentiment de fête. Le commentateur à la télévision parlaient d'une voix si solennelle, la parade était si belle, les mots prononcés sur l'Union soviétique étaient si pathétiques... que je me souviens d'avoir pensé: que je suis heureuse d'être née et de vivre en Union Soviétique! Que j'ai de la chance! Il y a beaucoup d'enfants dans le monde qui n'ont pas cette chance, et moi... je l'ai!
J'avais 4 ans...
Maintenant j'ai 30 ans, et je suis heureuse de ne plus vivre dans ce pays... Oui, Monsieur Sadovnichy, CE pays, hélas! Je me rappelle bien votre discours de souhait de bienvenue aux nouveaux étudiants de la faculté des langues étrangères à MGU (Université Lomonosov) en 1996, où vous avez dit qu'il fallait faire de la sorte que la Russie devienne NOTRE pays, "et non CE pays, comme disent maintenant certains politiciens". Et bien, je n'ai pas su le faire.
Quelle grande différence entre ce bonheur et cette fierté débordants d'une enfant de 4 ans et ce goût d'amertume d'une femme de 25 ans prenant un aller simple à destination de la France le lendemain de sa soutenance de thèse!
Que de changements en 20 ans!

mardi 2 février 2010

C'était le printemps 2004. Il faut dire, que le mois de mai à SPb est très beau, la verdure est toute fraîche et inspire un sentiment de tendresse et d'innocence, et puis des fleurs, des fleurs... J'étais dans un des nombreux parcs de SPb avec ma meilleure amie de l'époque, Sveta. Nous étions assises sur la pelouse à côté d'un ruisseau. Il faisait très beau, mais je le voyais à peine. J'étais plongée dans des pensées très lourdes, j'avais un grand problème à résoudre, tandis que Sveta fronçait les sourcils à côté de moi, parce qu'elle voulait m'aider, mais elle ne le pouvait pas.
Je voulait aller en France, une très belle occasion se présentait devant moi, mais par malheur, mes parents s'y opposaient, car ils avaient vu plusieurs films parlant des jeunes filles russes tombées en esclavage sexuel à la sortie du pays. Comme il n'y avait pas question de partir en France contre la volonté de mes parents, la seule solution était de les persuader, que tout se passerait bien et que je rentrerais saine et sauve. Et bien, justement, je n'avais aucun moyen de les persuader... La situation était pénible.
A un moment, Sveta leva la tête et me dit soudainement: "Ecoute, ne t'inquiète pas. Je suis sûre que tout se passera bien. J'ai eu à Petrozavodsk une amie, et un jour, en la regardant, j'ai eu un pressentiment, qu'elle vivrait à l'étranger. Et qu'est-ce que tu crois? Quelques années plus tard, elle s'est mariée avec un étranger et elle est partie. Et tout à l'heure, j'ai eu le même pressentiment te concernant. Je te dis, Nathacha, tu ne resteras pas en Russie, tu vivras à l'étranger." Faible consolation! :-)
Pourtant, je constate, que des années plus tard, en essayant d'analyser le passé et de trouver le moment précis où l'idée de l'immigration est apparue dans ma tête, je revient mentalement à cette conversation avec Sveta. C'est à ce moment-là, que le mot d'"immigration" fut prononcé à haute voix, de manière à retentir dans mon cerveau et d'y laisser un écho, une trace, un quelque chose... Mais, est-ce vraiment à ce moment-là que je commence à accepter cette idée d'immigration? Peut-être, faut-il chercher plus loin? Des présages dans le passé, des indices... Comment se fait-il qu'une personne accepte de tout quitter et d'aller s'installer dans un monde inconnu et étranger? C'est la question que je me pose...