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lundi 29 mars 2010

Ceux qui sont désagréables avec nous ne nous veulent pas forcement du mal et peuvent même nous rendre qqfois service.
L'exemple le plus marquant de cette vérité reste pour moi la professeure O.E. que j'ai eue à Syktyvkar. D'ailleurs, était-elle vraiment désagréable avec moi? Elle s'emportait facilement et aimait proférer des jugements de valeur qu'elle énonçait toujours avec le ton d'une irrévocable décision. Elle aimait "la vérité". De mon côté, j'ai toujours été qn de vulnérable et de rancunier, il m'a toujours suffit d'une seule phrase pour commencer à détester qn.
Un beau jour de l'hiver 1997, le matin, notre groupe d'étudiants se trouvait devant la porte close de notre salle d'étude. Nous étions très étonnées: d'habitude, notre professeure arrivait une demi-heure avant le début du cours. Cette fois, la porte était encore close après la sonnerie de 8h15. La règle voulait que l'on attende le professeur pendant 15 minutes, après quoi, les étudiants avaient le droit de partir. C'est ce que nous avons fait. Sans attendre la 16e minute, nous sommes toutes allées à la cantine boire du thé...
Pendant la récréation, je suis allée, en tant que déléguée de classe, à la salle des professeurs pour savoir si notre professeure était arrivée et pourquoi notre cours n'avait pas eu lieu. A côté de notre professeure, qui avait juste oublié de regarder un changement d'horaire, j'ai trouvé O.E. qui ne nous enseignait rien cette année et que nous ne connaissions que de vue. Très excitée, O.E. a commencé à me faire la morale, en vociférant. Nous aurions du aller la voir et lui demander la clé de notre salle pour y travailler seules. Les étudiants devenaient de plus en plus irresponsables etc. J'ai donc pris une douche froide pour tout notre groupe, après quoi j'ai eu le droit de me retirer... Faut-il vous dire que j'ai commencé à détester O.E.?
...Un beau jour du printemps 1998, je participais, pour la première fois de ma vie, à une conférence d'étudiants. Chaque année, au mois d'avril, notre département organise une conférence pour les étudiants de 3e, 4e et 5e années, où l'on présente les résultats du travail de "recherche", fait dans le cadre des différentes mémoires. Les étudiants de 1e et 2e années doivent y assister. A la fin de la conférence, on distribuent des prix... Cette année j'y participais aussi. En fait, je n'étais qu'en 2e année, mais j'avais été très tôt remarquée par le chef du département qui m'a fait commencer un travail de recherche dès la 2e année, et je n'ai pas eu le courage de refuser de participer à la conférence. Bref, je me suis retrouvée ce jour-là devant une petite centaine de personnes, étudiants et professeurs de notre département, à parler de "ma recherche". Je n'avais pas de feuilles de papier devant moi: à l'époque j'avais encore une mémoire assez bonne, suffisante pour ne pas oublier ce que je voulais dire pendant 15 minutes... On m'écoutait bien, sauf... Devant moi, un peu à gauche, il y avait un groupe de professeures, qui discutaient de leurs problèmes de plantation de tomates. C'était O.E. qui animait la conversation. Elles me gênaient. J'ai étouffé en moi l'instinct du professeur qui se traduisait par le désir de les interpeller... "Vos questions et vos remarques" - a demandé le chef du département, lorsque j'ai fini mon exposé, me retrouvant soudain dans un complet silence.
Une remarque est nécessaire. Je m'étais longtemps préparée à cette conférence. J'ai toujours très bien travaillé pour la faculté. La raison de cela était très particulière. J'étais à la faculté de mon père. Ici, tous les professeurs le connaissaient très bien, excellent étudiant d'il y a 25 ans, et continuant à venir de temps en temps à cette faculté. Même ceux des professeurs qui ne faisaient pas partie du département, en parcourant la liste des étudiants, s'arrêtaient toujours sur mon nom et s'exclamaient, tous sans exception, avec la même phrase: "Ah, mais c'est la fille de Valéry!" Je sentais tout le temps l'ombre de mon père peser sur moi, je n'existais aux yeux de mes profs que par lui. A chaque instant, c'était une comparaison minutieuse qui s'effectuait. Je n'avais pas droit à l'erreur, je devais être aussi excellente que lui. Je souffrais beaucoup de cette responsabilité écrasante, étant à la fois trop docile et trop fière pour changer cette situation, par exemple, en changeant de faculté...
"Vos questions et vos remarques"- a demandé le chef du département. Mon coeur a tressailli lorsque j'ai vu O.E. se lever. Elle m'a toisée du regard, puis elle a enveloppé d'un regard toute la salle avec une centaine d'étudiants et des professeurs du département et a dit de sa voix sonore: "Ah, mais c'est la fille de Valéry!" J'ai lâché un juron dans mon for intérieur. ..."Et bien, je dois vous dire, que la fille a dépassé son père!"
D'un seul coup, et pour toujours, je me suis sentie libérée...

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