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jeudi 11 février 2010

Le plus beau cadeau d'anniversaire.
Mes anniversaires n'étaient jamais très joyeux, la fin de l'été correspondant à la fin des vacances et, par conséquent, à l'épuisement total de l'argent touché par mes parents au début des vacances (mes parents étant tous les deux professeurs). Non que je n'avais pas de cadeaux, mais c'étaient souvent des choses purement symboliques (surtout à la période de la Pérestroïka). Pourtant, le plus beau cadeau qui m'ait été fait, n'a pas coûté un rouble à mes parents. Pour mes 14 ans, on m'a offert... mon arrière-grand-père. En fait, ce cadeau n'était pas prévu par mes parents, tout simplement, j'ai commencé à établir l'arbre généalogique de notre famille, et profitant une fois de plus du rassemblement de toute la famille pour mon anniversaire, j'ai posé des questions à mes grand-parents concernant leurs parents. J'avais déjà entendu ma grand-mère parler de son père, mais je le croyais mort. Et bien, je m'étais trompée, il était vivant!
C'était un très beau cadeau, mon arrière-grand-père! Un vrai descendant de la noblesse polonaise ou biélorusse-polonaise, professeur, directeur d'une école, communiste, héros de la deuxième guerre mondiale (il fut commandant militaire de Varsovie après la libération de cette ville), mais aussi chasseur, buveur, homme aux passions coûteuses et aux manières de gentilhomme, fier et exemplaire, bref, un arrière-grand-père de rêve. Eh bien, le jour de mon anniversaire j'ai appris son existence et j'en étais ravie! Le seul petit problème était qu'il vivait en Biélorussie, et nous - au fin fond de la taïga komi, entourés d'anciens camps de goulag. Mais, honnêtement, pour moi, cela n'était pas un grand problème, j'étais déjà assez heureuse avec la seule connaissance de son existence, et puis, je savais déjà écrire des lettres!
Mon cadeau est mort avant que je puisse lui écrire une seule lettre... J'avoue que j'étais déçue.
Mais malgré tout, ce cadeau m'a enrichi pour toute ma vie: j'ai commencé à réfléchir au sujet du destin, j'ai eu l'intérêt envers le passé des individus (le passé en tant qu'histoire ne m'intéresse point), envers les motifs de leurs actes. Pour la première fois je me suis rendu compte de la grandeur de La Mémoire Humaine, qui peut décider si tel homme devait mourir pour toujours ou bien survivre pour les siècles à venir. Cette découverte m'a bouleversée, comme si j'avais trouvé là un secret d'immortalité. Je me suis acharnée à retrouver tous les survivants de notre famille (des parents éloignés) au quatre coins de l'ancien URSS pour recueillir toutes les informations sur le passé de notre famille. C'était une course contre la montre: la plupart de mes correspondants avaient autour de 80 ans. Je me battais avec le Néant. Avec chaque nouvelle lettre je lui arrachais un morceau de plus de la vie de quelqu'un...
Je dois avouer: je n'ai pas su être efficace, à 15 ans, on a beaucoup d'autres choses à faire. En fin de compte, je n'ai qu'une vingtaine de lettres que je n'ai jamais organisées sous la forme d'un quelconque texte de synthèse. Je sais qu'un jour je devrais m'en occuper: à la conscience du combat avec le Néant s'ajoute le sens de la responsabilité. Tout les correspondants de mes 15 ans sont déjà morts. Ils savaient tous ce que j'étais en train de faire, et ils y comptaient.
Aurais-je un jour, à mon tour (comme R. Gary), une possibilité d'annoncer à la reine d'Angleterre qu'"Au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny"?

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